Béjart " je suis un chorégraphe ..."
"je suis un chorégraphe parce que je ne sais rien faire d'autre" affirmait Maurice Béjart ou du moins ce qu'il prétendait car il avait voulu être metteur en scène, puis chanteur d'opéra après avoir entendu à Marseille "Faust" et "les contes d'Hoffmann", virtuose ensuite malmenant un piano dans le magasin de brocante de sa grand-mère..
Résigné, le jeune Maurice avait troqué son nom (Maurice Berger) pour celui de Mme Molière et ce petit garçon que le philosophe Maurice Blondel faisait sauter sur ses genoux quand il rendait visite à Gaston Berger, son père et philosophe lui-même est devenu l'un des plus célèbres chorégraphes de notre temps !
"Mine de rien, je suis aujourd'hui devenu une espèce de monument historique qu'on visite - une tour penchée de Pise" explique-t-il. Pour lui, un ballet n'existe pas tant qu'il n'est pas en train d'être dansé.. mais ensuite il a déjà des idées pour autres chose .. il les imagine, les fabrique... les idées lui viennent et voilà un autre ballet en préparation.. comme le "Boléro" par exemple, un de ses plus grands succès, "c'est au début une histoire de désir - un fait sur l'érotisme jusqu'à ce que ça devienne une variation de "Dionysos et les bacchantes" ! "
Ce petit homme en jeans et polo, aux yeux incroyablement bleus, les cheveux bruns, le collier de barbe, râblé, aime tout : la mosquée de Dakar, l'hôtel Metropol de Moscou, la mer à Capri, tous les bijoux qu'il a pu avoir, offrir, il aime le cinéma jusqu'à la folie d'en faire lui-même. En musique ses goûts sont extrêmement éclectiques.. et il aime le théâtre : "Molière est comme un frère" au point qu'il le fait danser dans son ballet "Molière Imaginaire" par son danseur vedette préféré, Jorge Donn.
Les musiques, les musiciens lui inspirent toujours une nouvelle création : Wagner avec ses Vainqueurs dont il fait le ballet "Ring" superbe fresque sonore et gestuelle qu'il a mis vingt ans à concevoir, que les Berlinois ont acclamé debout.
Et Webern, qu'il vénère littéralement et considère comme un saint, dont la composition la plus longue ne dure pas plus de 11 minutes et dont toute l'oeuvre tiendrait sur 4 disques : Webern le Viennois auquel il a consacré un ballet en 1966...
Et Shakespeare parce que son théâtre ce n'est pas seulement des personnages mais, affirme-t-il toute une oeuvre.
Il aime les grandes villes comme New-York où "tout est excessif et dangereux - cette ville ressemble à ce que je voudrais que mes ballets soient : un ordre composé de désordres successifs, une folie contrôlée, une rigoureuse absence de mesure".
Il a tout vu Béjart : Tokyo et ses théâtres Nô, Moscou mais aussi Cuba et Paris bien sûr où il a rencontré un moine zen dont il n' a pas fini de mesurer l'importance et qui lui a révélé que "l'éternité est la succession des un jour" !!
Plus tard, le hasard le conduit en Iran et il y rencontre le désert : le soleil sur le désert. "C'est Dieu dit-il- je fus aspiré, Dieu a créé les âmes de son souffle et cette création est continue" et le voilà qui se convertit à l'islam sans pouvoir fournir la moindre explication rationnelle.
Pour lui, être traditionnel ne devrait pas être la pire des choses, mais plutôt un compliment " la tradition est une recherche pas un affadissement"
Il a passé 20 ans à mettre sur pieds et à faire tenir debout une compagnie de ballet qui ait un rang international et un répertoire diversifié pour un vaste public. Pari gagné ! ce maniaque du travail, qui vous explique que la barre est à la danse ce que la colonne vertébrale est au corps pour faire un ballet achète des dizaines de CD et connaît par coeur autant de poèmes, au point, affirme-t-il, que pour assurer ses vieux jours, il pourrait si nécessaire donner des matinées de poésie où il réciterait La Fontaine, Hugo, Baudelaire etc.
Se prend-il au sérieux ? "j'ai, dit-il, ouvert un chemin dans lequel peut s'engouffrer toute une génération de chorégraphes". Son inspiration il ne la trouve pas qu'avec ses amis appartenant à d'autres disciplines que la sienne.
Dans le ballet "pyramide" chaque jour pendant 8 heures ses soixantes danseurs travaillent sur ce que Béjart appelle un voyage de 4000 ans à travers l'histoire de l'Egypte allant des pharaons, à l'Islam, Alexandre le Grand, Bonaparte, La diva du Nil, Oum Kalsoum dont on entendra la voix. Pour la musique de ce ballet, précisément Bèjart a une fois de plus écouté des centaines de disques notamment à l'Institut du Monde arabe, il a pris des notes sur la musique islamique pendant 15 ans, lu tout ce que l'on peut lire sur le grand mystique Dhül-Nûn. " Le monde arabe, explique-t-il, est plus poétique que musical." comme naguère il s'était pris de passion pour l'Inde, pour le Japon, le voici saisi par la culture islamique... il est toujours, en somme, au carrefour des grandes civilisations !
"Je ne peux croire qu'en un Dieu qui saurait danser" est son crédo à l'instar de Nietzsche !!
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