Danses, dansons dansez !

Danses, dansons dansez !

Tamara Karsavina

Tamara Platonova Karsavina naquit à St. Petersbourg le 10 Mars 1885 au sein d'une famille heureuse bien qu'hélas trop souvent désargentée. Son père, Platon Konstantinovich Karsavin était premier danseur aux Théâtres Impériaux, une fonction aussi prestigieuse que mal payée, mais cette existence parois difficile n'empêcha pas sa mère, issue de la noblesse, de transmettre à ses deux enfants l'excellente éducation qu'elle avait elle même reçue.

A six ans Tamara lit déjà Pouchkine et en déclame des passages entiers à son entourage, cependant les histoires qui la font le plus rêver sont celles que lui raconte son père lorsqu'il évoque pour elle le monde féérique de la danse. Ce dernier est néanmoins farouchement opposé à la voir se diriger vers cette vie de théâtre et ses intrigues, mais très vite Tamara n'aura bientôt plus qu'une envie: danser elle aussi.

Soutenue dans ce choix par sa mère, elle arrivera à ses fins et c'est une amie de la famille, Madame Joukova, que Tamara et son frère appellent "Tante Vera", qui lui donne en cachette ses premières leçons, dont la première ne se révéla pas, si l'on en croit le récit de ses Mémoires, à la hauteur des espérances de l'aspirante ballerine:

    " Je m'étais imaginé que je saurais tout de suite danser et je me voyais faisant de grands bonds et des pirouettes comme celles que j'avais vues dans le ballet. Dans quel état d'excitation j'étais en me rendant à ma première leçon et quelles merveilles je comptais exécuter sur le champ!.. Quand tante Véra dit: Maintenant tourne... en un clin d'oeil je perdis l'équilibre et tombai, je me sentis ridicule et fus très vexée..."

    Rallié à sa cause, c'est son père qui se fait ensuite son professeur et sera pour elle un maitre sévère d'une intransigeance extrême, lui inculquant les bases de cette technique irréprochable qui va la conduire jusqu'au plus haut niveau.
    Chaque soir, lorsqu'il rentre des leçons qu'il donne en ville, Platon Karsavin fait travailler son élève dont l'air favori pour accompagner l'exercice des grands battements est La Marseillaise:
    " Mon père jouait des airs variés pour accompagner mes exercices, fragments de ballets, fragments d'opéras dont à l'occasion il chantait les paroles. Il préférait à tout une polka vive, mais moi je lui réclamais toujours La Marseillaise: Le grand battement me paraissait cent fois plus facile quand j'étais entrainée par ce rythme héroïque". 

    Stimulée par des observations sans pitié du genre "Ne tiens pas tes bras comme des candélabres" ou encore "Tes genoux plient comme ceux d'un vieux cheval"Tamara passe à 9 ans avec succès l'examen d'entrée à l'Ecole du Ballet Impérial, où externe tout d'abord et pensionnaire ensuite elle s'adapte sans trop de difficultés à la discipline rigoureuse de l'institution:
    "Une fois pensionnaire s'ouvrait devant vous la perspective de douze années d'une vie austèrement monacale. Vous passiez de classe en classe, de la robe brune à la robe rose, de la robe rose à la robe blanche. Une fois "blanche" vous jouissiez de la considération des "brunes"... Non seulement les élèves apprenaient à danser divinement, mais on leur enseignait encore, outre la géographie, l'histoire et les mathématiques, le pourquoi de l'art chorégraphique et l'intention subtilement cachée de chaque pas". (James Barrie)
    Son seul chagrin: Elle n'est jamais choisie chaque fois que le Marinsky fait appel à des élèves de l'Ecole pour figurer dans les ballets ou les opéras... Car, à son insu, son père a donné des ordres dans ce sens afin de lui épargner la fatigue des longues soirées, néanmoins il se laissera une nouvelle fois attendrir par sa déception, et les plus grands bonheurs de Tamara seront désormais ses apparitions sur scène, même dans les rôles les plus dénués d'importance:
    "Peu m'importait d'avoir un rôle insignifiant pourvu que je fasse partie du monde féerique du théâtre". 

 Son talent exceptionnel lui vaut, dès la fin de ses études, d'être engagée directement comme coryphée au Marinsky:
    "Je lus avec une grande satisfaction, bien que je le sache déjà, que j'étais reçue dans la troupe comme coryphée avec un salaire de 720 roubles par an ce qui me semblait énorme pour la première année, comparé aux 600 roubles des débutants. A la maison mes 60 roubles par mois étaient un supplément appréciable au budget et je remettais directement l'argent à ma mère: celle-ci me donnait chaque matin de quoi payer mes trajets ce qui représentait mon seul argent de poche. En conséquence je ne pouvais jamais rien acheter, bien que j'aimais regarder les vitrines et qu'il m'arrivait parfois d'avoir envie de quelque chose. Mais sans jamais aucune amertume ni regrets. Je vivais à cette époque dans un mépris total de l'argent, dans une bienheureuse pauvreté."

     En 1905 une magistrale interprétation de Giselle lui acquiert le titre de "prima ballerina" et jusqu'en 1918 elle va alors interpréter tous les premiers rôles des oeuvres de Marius Petipa, Le Lac des Cygnes, Casse Noisette, La Bayadère, Paquita, Raymonda, La Belle au Bois Dormant, Don Quichotte, ainsi que le répertoire classique, Giselle, La Fille Mal Gardée etc. et le public enthousiaste la hisse au rang de véritable idole.

     Ses dons remarquables n'avaient évidemment pas échappé à l'oeil exercé de l'imprésario de génie qu'était Serge Diaghilev, et Tamara Karsavina fit partie de la première saison parisienne des Ballets Russes en 1909, devenant pendant les années qui suivirent l'interprète idéale des ballets de Mikhaïl Fokine qui sut la mettre admirablement en valeur dans Petrouchka, L'Oiseau de Feu ou Le Spectre de la Rose avec pour partenaire habituel Vaslav Nijinski:
    Une collaboration qui ne fut pas toujours très facile. 

Tamara Karsavina  partageait désormais son temps entre le Marinsky et la Compagnie de Diaghilev, mais elle demeura cependant en Russie pendant toute la durée de la Première Guerre Mondiale, et son retour de Paris fut l'occasion d'une mémorable soirée organisée en son honneur le 26 Mars 1914 par tout ce que Saint Petersbourg comptait de poètes, écrivains et artistes.  Encensée par les spectateurs, et chérie par les poètes, Karsavina a en effet inspiré par sa beauté légendaire nombre d'artistes, qu'ils l'aient prise pour modèle (Bakst, Cocteau, Sorin...) ou lui aient écrit des poèmes ou dessiné des costumes (Bakst, Picasso, Derain, Matisse...)

 Le secret du charme de Tamara Karsavina résidait dans ce don qui n'appartenait qu'à elle de transformer la danse en poésie, et transcendant une technique parfaite, sa danse était étrangère à tous ces effets de prouesses qui cachent bien souvent le vide des sentiments profonds par des démonstrations de brillantes technique.

En 1915 Tamara Karsavina épouse le diplomate britannique Henry James Bruce (1880-1951), leur fille Nikita voit le jour l'année suivante et en 1918 la famille se fixe définitivement à Londres. Tamara y reprend alors sa collaboration avec Diaghilev interrompue pendant la guerre et interprète maintenant les rôles principaux des ballets de MassineLe Tricorne, Le Chant du Rossignol ou Pulcinella. Après le décès de Diaghilev en 1929, elle danse encore quelques temps pour le Ballet Rambert, puis mettant un terme à sa carrière de danseuse en 1931, se consacre à partir de ce moment là à l'enseignement de la danse et à l'écriture.

    Elle a déjà rédigé ses Mémoires en 1930 dans un livre intitulé: Théatre Street: The Reminiscences of Tamara Karsavina. Cette "rue du Théâtre" qui borde l'Ecole Impériale de Ballet à Saint Pétersbourg (Aujourd'hui l'Ecole Vaganova), la ballerine en garda toute sa vie un souvenir ébloui: "La Rue du Théâtre restera toujours pour moi un chef d'oeuvre architectural" écrit-elle dans son ouvrage où elle décrit son enfance et sa carrière de danseuse avec sans doute cette même poésie, cette même simplicité et ce même charme qui l'ont faite aimer de tous ceux qui la connurent. 
    (Tamara Karsavina rédigea également de nombreux articles pour le magazine Dancing Times, ainsi qu'un ouvrage concernant la technique classique: Classical Ballet- The Flow of Movement.
      Ses Mémoires ont été publiées en Français sous le titre: Ma Vie - L'Etoile des Ballets Russes raconte).

 Excellente pédagogue elle se consacra personnellement à l'enseignement jusqu'en 1953 et compta parmi ses élèves de futurs très grands noms: Alicia Markova, qui fut la première danseuse britannique à recevoir le titre de "prima ballerina", ou encore Margot Fonteyn à qui elle fit répéter le rôle de l'Oiseau de Feu lorsque le Sadler's Wells recréa le ballet.

Elle fera également travailler entre autres le couple Fonteyn/Noureev lors de la reprise du Spectre de la Rose et conseilla Frederick Ashton lorsqu'il crée sa propre version de La Fille Mal Gardée, lui transmettant la chorégraphie originale du Pas du Ruban.

    Tamara Karsavina avait conservé, parait-il, jusqu'à un âge avancé cette présence extraordinaire et ce charme plein de poésie qui pouvait plonger, dans un silence admiratif une pièce remplie de monde dès qu'elle y paraissait.

Lorsque la danseuse légendaire s'éteignit à Beaconsfield, dans la grande banlieue de Londres, le 26 Mai 1978 à l'âge de 93 ans, Olga Spessivtseva, résuma avec chaleur par ce vibrant hommage le sentiment unanime de tous ceux qui eurent un jour la chance d'approcher cette grande dame:

    "Of all the women the best dancer and of all the dancers the best woman"

    "De toutes les femmes la meilleure danseuse et de toutes les danseuses la meilleure des femmes."

Sur sa tombe est gravée cette phrase:
"Whosoever believeth in me shall never die" 

(Celui qui croit en moi ne meurt jamais)

 

tamara karsavina.jpg



25/10/2020
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